dimanche 24 janvier 2010

L'enfant a la console

Il n'est pas rare que les enfants, dans le cours de leur traitement psychothérapeutique, apportent dans le rendez-vous quelque chose de chez eux. Généralement, cela signe un changement dans l'investissement de la psychothérapie : un bout de "chez soi" est déplacé dans la psychothérapie. Il peut arriver que l'enfant mélange un moment ses jouets et ceux du psychothérapeute et qu'il trie ce qui lui appartient au moment de la séparation. Ce sont là des situations assez banales aux psychothérapies d'enfants.

Parfois, l'objet apporté est une console de jeu. L'enfant arrive à sa séance et joue, souvent dès la salle d'attente. Le thérapeute ne voit pas le jeu auquel l'enfant joue. L'enfant ne le lui dit pas. Il ne répond pas aux questions qui lui sont posées. Il semble tout entier absorbé dans son jeu. De la console s'échappe une musique gaie et une voix a la Mario crie de temps à autres quelques exclamations. Parfois, l'enfant dit quelques mots "chouette une étoile !", "je suis encore mort" ou "cette fois ci ça va réussir"

L'enfant à la console est une situation qui est intéressante à travailler dans le cadre d'une psychothérapie.

Elle est d'abord utilisé comme mesure de protection contre le psychothérapeute. Relié à sa console, l'enfant se met à une distance raisonnable du psychothérapeute vécu à ce moment comme trop intrusif. L'enfant se retire alors de relation proposé par le psychothérapeute.  L'enfant se protège ainsi de ses fantasmes de séduction, de dévoration, ou d'agression par la projection et le retournement actif passif.

La possession d'un objet source de tant de plaisirs peut également être un point important et ce d'autant plus que l'enfant possède alors quelque chose que ne possède pas le psychothérapeute. Tout le registre de l'avoir se greffe ici d'autant plus facilement que souvent la scène se joue sous le regard de la mère. Celle ci est alors appelée en position de complice ou de soutien des positions de l'enfant qui attend d'elle une reconnaissance sa maîtrise d'un objet si puissant.

Le psychothérapeute est mis en position de témoin impuissant. Il voit l'enfant jouer, mais ne sait pas ce à quoi il joue. Il pressent les effects d'excitation, d'énervement, ou de satisfaction que le jeu mais ce qui est pour l'enfant cause de plaisir ou de déplaisir lui est masqué. Il ne peut qu'en lire les reflets sur le visage de l'enfant

Le jeu peut aussi être un donné à voir au psychothérapeute : il met en acte l'emprise de l'excitation sur l'enfant. La relation à l'objet est si prenante que l'enfant peine à l'abandonner. Les enjeux qui se reposent ici sont ceux des séparations premières : avec quoi joue t on dans l'absence de la mère ? Lorsque cette absence ne dépasse pas les capacités de l'enfant, la pensée de la mère prend le relais. Dans le cas contraire, le recours a l'auto-érotisme ou les accrochages fétichistes a des objets sont des voies possibles. Mais le psychothérapeute peut aussi être amené à témoigner les réussites de l'enfant. Ce qui est donné a voir, ce ne sont plus les échecs mais les nouvelles possibilités de maîtrise de l'enfant.

 

La console est maniée dans la relation : elle est sensée faire envie au psychothérapeute, obstacle au désir que l'enfant lui suppose ou la relation que l'enfant noue avec elle signifie quelque chose pour le psychothérapeute. Mais elle peut aussi être maniée dans un registre plus intra-personnel. Ce qui semble etre alors être un isolement dans le jeu vidéo est en fait une façon de revivre des interactions primitives. Serge Tisseron a appelé ce type d'accordage la "dyade numérique" : l'enfant reproduit avec le jeu vidéo le type de relation qu'il avait établi avec son environnement premier. Il peut s'agir d'une tentative de vivre un attachement sécurisé, de maîtriser des excitations, de vivre un accordage satisfaisant ou encore d'incarner un idéal. Par le jeu des sauvegardes et des répétitions, l'enfant est en effet certain de retrouver les même interactions et de se retrouver lui même identique interaction après interaction. Il peut également répéter les excitations auxquelles il a été exposé et tenter de les traiter, ou au contraire produire des excitations qui lui ont manqué imaginairement ou dans la réalité. Par le jeu rythmique, ce sont les accordages affectifs qui sont travaillés : le jeu vidéo fonctionne comme un miroir

1 commentaire:

  1. je viens de tomber sur ce blog par hasard, au fil des liens ... et j'avoue que je trouve passionnant votre regard sur les choses comme la console ou plus haut internet et ses réseaux sociaux. Plutôt que moralisateur vous semblez juste curieux sur le thème "qu'est ce que ça lui apporte ? qu'est ce que ça veut dire?"
    c'est ... génial, cette absence de jugement, cette curiosité

    du coup j'ai une question
    j'ai lu régulièrement des psys et des médecins (mais c'est encore différent) se plaindre des parents laxistes et de leur absence de réactions devant les bêtises de leurs enfants en consultation.
    Je veux bien reconnaitre quand certains cas, y'a laxisme pur et simple (jemenfoutisme pour être exacte) Mais je pense aussi qu'il y a des parents comme moi, perdus entre la reconnaissance de la pénibilité pour l'enfant, le respect de leurs besoins (typiquement avoir une conversation suivie) et ceux de l'interlocuteur dont ils ignorent tout et qu'ils doivent deviner.
    Dans le cas d'un psy que l'on consulte pour l'enfant il y a à mon sens un souci supplémentaire, parce que j'imagine qu'il y a un moment ou je suis sensée m'effacer ou en tout cas laisser mon enfant et la personne en face développer LEUR relation, dans laquelle je n'aurais alors plus à intervenir (dans le sens ou je ne dois pas le faire et n'en ai plus besoin, les deux se superposent).

    Dans le cas d'une console par exemple, c'est quand ? Il ne me semble pas illogique de laisser mon enfant emmener un jouet, console y compris, pour passer le temps d'attente. Il y a toutefois un moment où la politesse suppose d'arrêter, typiquement au moment où l'on vient nous chercher. D'un autre coté je pense pas que laisser deux trois minutes à un jeune pour se faire et donc apprivoiser la nouvelle situation où il sera au centre de l'attention et des discussions soit "mal". A sa place, je prendrais au moins une grande inspiration :D

    Kcenia

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