vendredi 14 mars 2014

Les jeux vidéo sont-ils un complot du complexe militaro-industriel ?



Depuis Spacewar! le lien entre les jeux vidéo et la guerre n’a pas cessé de se raffermir. Au fur et à mesure que les machines sont devenues plus puissantes, le réalisme des images a augmenté. Les armes présentées à l’écran se sont faites plus précises, le son des déflagrations est devenu réaliste. La participation d'experts militaires a des jeux comme Rainbow Six a contribué à changer la physionomie des jeux vidéo de guerre.  Même les champs de bataille ont été modélisés à partir des véritables terrains d’opération ! Aujourd’hui, les jeux vidéo les plus vendus sont des jeux de guerre.

La prise de conscience de l’importance de l’imaginaire guerrier a conduit le département de la défense américain à produire un véritable jeu vidéo. America’s Army est un jeu présenté comme « réaliste » du point de vue de la modélisation des armes utilisées. Celles-ci sont non seulement immédiatement reconnaissables dans le jeu, mais leurs caractéristiques techniques sont censés être les même que celles des « vraies » armes. Pour l’armée américaine, le but est simple. Le jeu est une immense campagne promotionnelle permettant de présenter les forces américaines sous un jour très favorable. En France, des campagnes de recrutement utilisent également le design des jeux vidéo pour promouvoir l’engagement de nouvelles recrues. 

La lune de miel entre les jeux vidéo et l’armée ne date pas de Armerica’s Army. L’armée américaine a très tôt soutenu le développement de simulations informatiques pour la formation de son personnel. Dans les années 1980, Atari a développé une version « professionnelle » de son jeu Battlezone. Les officiers de l’armée de terre pouvaient alors simuler des combats avec des chars Bradley.

Le lien entre les jeux vidéo et la guerre est encore plus ancien que Spacewar ! En 1947, Thomas T. Goldsmith Jr et Estle Ray man ont inventé un jeu de tir de missiles qu’ils ont breveté sous le nom de « Cathode-Ray Tube Amusement Device ». Les capacités graphiques des ordinateurs de l’époque étant limitées, le jeu nécessitait l’application de caches sur l’écran. S’il ne s’agit pas encore de jeu vidéo selon notre définition – il n’y a pas de programme informatique - on voit que les ordinateurs ont très précocement servit à faire des simulations militaires.

Les jeux vidéo retrouvent une très ancienne tradition miliaire. Au 19e siècle, l’armée autrichienne forme ses officiers avec des kriegspiels. Sur des champs de bataille miniatures, les différentes unités sont manipulées selon des règles particulières. Par exemple, une pièce d’artillerie lourde se déplacement plus lentement qu’une batterie légère, mais aura une portée et une puissance de tir plus importante. Le jeu sera ensuite adopté dans toutes les académies militaires occidentales. Il faut également remarquer que si les kriegspiels ont permis de préparer les officiers militaires, un homme comme H. G. Wells imaginait qu’il pouvait avec des vertus éducatives. L’auteur de La guerre des mondes avait écrit deux livres de règles pour jouer avec des figurines. Avec ses jeux de parquet (« floor games »), Wells créait des iles merveilleuses peuplées d’être délicats ou de sauvages. Dans l’esprit de Wells, faire la guerre en s’épargnant le coût de la guerre était offrir une activité civilisatrice aux enfants.

Les militaires ont toujours été friands de simulations. Les ordinateurs vont leur permettre, par la puissance de leurs calculs, de produire des champs d’entrainement à volonté. Dans les années 1950-1970, les ordinateurs étaient encore des objets rares et précieux. La plupart du temps, seuls les militaires avaient les ressources nécessaires pour les acquérir. Les ordinateurs étaient donc là ou étaient les militaires, ou lorsqu’il y avait un ordinateur, l’armée n’était jamais très loin. 

Dans la seconde moitié du 20e siècle, les sociétés occidentales ont éte profondément changées. La révolution industrielle qui s’appuyait sur la maitrise des moyens de transport et de l’énergie fossile a accouché d’une nouvelle société. Les moyens de communication et l’information deviennent alors de plus en plus importants. Dans la société de l’information, la richesse et la valeur sont de moins en moins produits par des objets concrets et de plus en plus produits par la détention, le stockage, et la transmission de l’information.

Alors qu’elles sont en train de se transformer, les sociétés occidentales des années 1960 sont affectées par une série de révoltes juvéniles. Les boomers rejettent violemment le mode de vie de leurs parents. Même s’ils s’appuient sur des mouvements culturels qui les ont précédé comme l’avant-garde ou le banhauss, ils pronent une nouvelle culture et une nouvelle esthétique. Ce mouvement contre-culturel s’appuie sur l’expérience du vertige, la prise de drogues, le communautarisme, la violence, et les médecines alternatives. Il est le plus souvent représenté par les hippies, mais il est en multiple et bigarré. Une de ses branches est composées de geeks c’est à dire de personne profondémement investies dans un domaine qu’ils explorent sans relâche afin d’en connaitre toujours plus. Les geeks ont fait des ordinateurs leur terrains de jeux. Ils vont modifier l’imaginaire des ordinateurs.

Pour les hippies, les ordinateurs étaient associés au pouvoir, à la domination et à la désubjectivation. Ce sont les machines qui étaient responsable du calcul des bombes lachées au Vietnam, ce sont elles qui abrutissaient les ouvriers sur les chaines de production, ce sont encore elles qui calculaient le temps passé a la table de travail. Entre les mains des geeks, elles deviennent des outils au service de la créativité. Les geeks ont en commun avec les hippies un dédain de la hiérarchie. Ils ne se préoccupent pas de savoir à qui appartiennent les machines ni de savoir qui signe le chèque à la fin du mois. Pour eux, les ordinateurs leur appartiennent et ils en font autre chose que ce pour quoi ils ont été initialement concu

Les jeux vidéo ont été créés dans un environnement où l’armée n’était jamais très loin. Mais tout en eux s’oppose au monde de l’armée. Les hiérarchies verticales sont privilégies dans l’armée, tandis que les programmeurs s’appuient sur des solidarités horizontales. La liberté d’agir et de participer est mise en avant chez les premiers programmeurs. Elle est réduite au maximum dans l’armée. Les ordinateurs sont des machines a calculer chez les militaires. Ils deviennent des instruments de plaisir et de virtuosité pour les geeks. L’ordinateur est au service d’une plus grande efficacité pour les militaires. Entre les mains des gamers ils sont au service de l'évasion et de la créativité.

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