lundi 11 août 2014

Le jeu vidéo est une fenêtre ouverte sur la culture

Il arrive que des adultes s’inquiètent de relations privilégiées que les enfants construisent avec les machines de jeu.Le raisonnement est alors le suivant : les enfants feraient mieux de jouer à des activités de plein air plutôt que de rester enfermés dans des appartements à jouer aux jeux vidéo. Cette “vraie vie” serait pleine d’humanité, de relations authentiques avec les autres tandis que les jeux vidéo n’apporteraient que des relations “fausses ”, “virtuelles ”, “machniques”

Ce raisonnement méconnait totalement la question. Les jeux vidéo sont produits par des êtres humains. Un jeu vidéo est le fruit du travail de tout un ensemble de corps de métiers. Des programmeurs, des musiciens, des graphistes travaillent parfois pendant des années à la production d’un jeu vidéo. Des cinéastes et des écrivains participant parfois à la production d’un titre. En d’autres termes, les jeux vidéo sont des productions culturelles.


Cette culture est relativement jeune et en perpétuelle renégociation, ce qui rend difficile sa reconnaissance. Mais des formes stables commencent à apparaitre. Dans le grand univers des jeux vidéo, on voit apparaitre de grands découpages comme les jeux de plateforme, les jeux de tir, les jeux de stratégie qui sont autant de cultures différentes. En jouant à Minecraft ou LoL, l’enfant se forme aux traditions et aux cultures des jeux vidéo. Il apprend le vocabulaire technique, les arts de faire, les manières d’être dans les mondes vidéoludiques.

Les cultures des mondes numériques n’ont pas surgi comme par magie des ordinateurs. Elles s’adossent à des formes et des traditions plus anciennes. Les jeux vidéo reprennent les structures antiques du conte et du mythe pour raconter une histoire. Le joueur incarne un héros, appelé à l’aventure pour restaurer l’ordre du monde. Les jeux vidéo sont des contes mis en acte. L’identification au héros permet de mettre son agressivité au service de la communauté. Les thématiques du jeu vidéo - accroître les capacités, sauver, délivrer, accompagner, se battre contre un rival, contre le rival d’un roi pour délivrer une princesse, délivrer son père, venger la mort de son père, etc.) sont celles du conte. Elles sont une configuration du travail psychique et des conflits internes qu’ils provoquent chez l’enfant comme chez l’adulte. Si lire la Théogonie d’Hésiode peut aider une personne à mettre de l’ordre dans son monde intérieur, si les massacres, viols, trahisons de la mythologie grecques peuvent être des occasions de subjectivation, pourquoi cela ne pourrait être être le cas de God of War, qui met en scène un héros tragique qui se refuse d’être le jouet d’un destin imposé par les dieux ?

Ainsi, il n’y a pas d’un côté le monde des humains et de l’autre le monde des machines, le réel et le virtuel, l’authentique et l’artificiel. Il y a qu’un seul monde humain qui est médiatisé par la technique. En contact avec le fruit du travail et de l’expérience d’être humains. Lorsqu’un enfant joue avec un jeu vidéo, il n’est pas en contact avec une machine. il est en contact avec la culture.






vendredi 1 août 2014

Quelques remarques d'un psychologue à propos du Fire Challenge




Le “fire challenge” est un défi dans lequel le participant s’enflamme après avoir enduit son corps d’un combustible. La vidéo est ensuite mise en ligne. Les média français ont massivement relayé ce jeu après qu’un adolescent soit mort des des conséquences des brûlures qu’il s’était infligé. A ma connaissance, en France, on ne déplore qu’un seul cas de “fire challenge”

Une des premières vidéos de “fire challenge” date de 2012. On y voit YouTuber, 1BlazinEagle1 met le feu à sa poitrine. En avril 2013, RolandConstantino crée le hastag #FireChallenge pour les vidéos dans lesquels une flamme se trouve près d’une partie du corps ou en contact avec le corps.En juin 2013, 1BlazinEagle1 poste la vidéo Nuts & Chest Fire challenge dans laquelle des jeunes hommes mettent le feu aux poils de leurs poitrines. La mort de James Shores suscite un traitement des média. Plusieurs cas tragiques sont alors rapportés. Les médias sociaux régissent en supprimant le hastag #FireChallenge

Ces comportements ne sont pas nouveaux. Il existe quantité de jeux dangereux chez les adolescents et chez les enfants. Le Eraser Challenge consiste à réciter l’entement l’alphabet en frottant une partie de son corps avec une gomme. Le résultat est le plus souvent des brûlures au premier ou second degré. On a également vu sur les média sociaux le Hot Pepper Challenge qui consiste à manger un piment, avec comme résultats une sudation importante, des nausées, et des vomissements

Ces comportements ne sont pas liés au réseau Internet. Les enfants ont toujours joué à des jeux dangereux. Il suffit d’ouvrir La guerre des boutons pour s’en convaincre. Les bagarres du livre de Louis Pergaux se retrouvent dans les jeux ou un enfant est battu parce que une cannette de boisson lui est passée entre les jambes (jeu de la canette) ou parce qu’il n’a pas réussi à attraper un ballon que les autres enfants font circuler (jeu du cercle infernal). Ces jeux, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui,  sont joués parce qu’ils apportent des sensations fortes, parce qu’ils permettent de jouer avec la mort, et parce qu'ils permettent de briller aux yeux des autres.

Le Fire Challenge est un jeu de défi dans lequel le joueur réalise un exploit. Il s’agit d’un jeu intentionnel, non contraint, dans lequel le joueur s’expose volontairement au risque. Le joueur cherche à éprouver des sensations intenses et à s’en rendre maitre. Il est également sensible à l’effet produit sur ses camarades. Il existe une dimension ordalique à toutes ces conduites puisqu'elles engagent un risque létal. Les vidéos dans lesquelles des jeunes gens jouent les équilibristes sur des toits de bâtiments russes correspent à ces conduites. La confrontation à l’accident et à la mort rassurent alors la personne sur sa capacité à être vivante et conforte son identité.

On sait pour l’instant encore peu de choses sur les personnes qui jouent au “Fire Challenge”. On ne sait rien de leurs histoires, de leurs personnalités, ni de leurs environnements sociaux alors que ce sont là des facteurs déterminants dans l’expression d’un comportement. Une seule chose est sûre : ces phénomènes sont là pour durer. D’une part parce qu’ils ont toujours été là. Les enfants, puis les adolescents, ont des jeux qui peuvent être dangereux. Ces jeux sont joués précisément parce qu’ils ont cette qualité. D’autre part, le réseau Internet leur donne une visibilité qu’ils n’avaient pas auparavant. Les digiborigènes ont intégré à leurs vies la documentation par l’image de tout ce qui est source d’excitation ou de plaisir pour eux ou pour les autres. Il leur est donc naturel de mettre en ligne ce genre de jeux.

Pour les adultes, c’est l’occasion de faire un travail d’éducation. Trop souvent, les articles de presse et les commentaires sur les réseaux sociaux se limitent à blâmer les adolescents pour qui ces jeux ont mal tourné. Il y a mieux à faire. Il est tout d’abord important de traiter ces jeunes gens avec bienveillance. Il est ensuite nécessaire de rappeler l’interdit fondamental fait à la personne d’éviter tout comportement qui pourrait lui nuire. C’est un devoir des plus vieux envers les plus jeunes que de rappeler ce que la vie doit à la vie. C’est un devoir des adultes que de dire aux jeunes que la vie est fragile. C’est un devoir de la société toute entière que de témoigner pour les plus jeunes une empathie qui traduise le désir de les voir vivants.