vendredi 14 décembre 2012

Le droit à l’oubli, une FBI

Mother FBI

Le Défenseur des Enfants a publié un rapport dans lequel il reprend une idée déjà assez ancienne selon laquelle chacun devrait avoir un “droit à l’oubli”. Cette disposition serait particulièrement importante pour les enfants, et devrait pouvoir être mise en œuvre par les ayant droit de l’enfant

Deux problèmes posés par le “droit à l’oubli”

Le droit à l’oubli est une Fausse Bonne Idée qui pose au moins deux problèmes. Le premier porte sur une confusion entre l’oubli et l’effacement. Le second donne aux traces en ligne une importance qu’elle n’ont pas.

Effacer les traces laissées en ligne, c’est faire comme si l’effacement et l’oubli étaient deux choses identiques. Or, il s’agit là de deux opérations très différentes. L’effacement est une opération qui porte sur des traces physique. Elle procède par retrait ou par ajout de matière comme lorsque l’on gomme un dessin ou que l’on passe du blanco sur un mot. L’oubli est une opération psychique qui procède par le retrait de l’investissement conscient et le déplacement de la trace psychique dans l’inconscient. Ces deux types de traces interagissent. Les traces physiques peuvent éveiller des traces inconscientes et soutenir le travail de la mémoire. Elles peuvent aussi servir d’écran et aider à ne pas se souvenir. Mais en aucun cas, une opération sur un type de trace n’a d’effet sur l’autre. Déchirer une photographie ne supprime le souvenir qui lui est lié

Effacer les traces laissées en ligne, c’est leur donner une importance qu’elles n’ont en général pas. C’est faire peser sur des actes d’enfants des valeurs d’adulte. C’est nier que cette expérimentation a eu en son temps de la valeur. C’est empiéter sur ce temps d’exploration de soi dont les adolescents ont besoin. C’est sacrifier les fragiles expérimentations de soi sur l’autel de l’appropriation des valeurs familiale et sociales.

Beaucoup d’actions des adolescents ne sont faites que parce qu’ils attendent des réactions des autres qu’elles leur disent qui ils sont et ce qu’ils éprouvent. S’ils mettent en ligne une image d’eux entouré de bouteilles d’alcool vides, c’est parce que les réactions des autres leur permettra de mieux comprendre ce qu’ils ont vécu et ce vers quoi ils veulent aller. C’est un processus  que les effacements faits par des tiers risquent de figer. Le droit à l’oubli transforme les mise en scène de soi en réalité condamnables ou honteuses.

Des besoins psychologiques insuffisamment pris en compte

L’adolescence est une moment d’intenses interactions avec des personnes et des idées. C’est un temps d’activités passionnées et d’explorations. L’adolescent s’essaye à des identité tout comme l’enfant s’amuse avec les vêtements de ses parents dans le dressing. Les partenaires des interactions changent. Durant l’enfance, elles ont majoritairement lieu avec les parents. Au moment de l’adolescence, les partenaires privilégiés des adolescents sont les autres adolescents

Les mondes en ligne sont des espaces parfaits pour s’essayer à de nouvelles identités. Les blogs, les comptes de réseaux sociaux, les avatars, les images par lesquelles ils se désignent, les groupes auxquels ils sont abonnés, les pages qu’ils aiment, les commentaires qu’ils laissent sont autant de traces par lesquelles ils se découvrent autrement que ce qu’ils sont. L’internet n’est pas seulement le miroir du dressing. Les réponses (ou l’absence de réponse) des autres sont autant d’attributions qui aident l’adolescent à se définir. Le réseau fonctionne comme un immense test de Rorschach groupal et polyphonique.

Une vie en ligne banale

L’internet est devenu un espace incontournable pour les adolescents en grande partie parce que les espaces dans lesquels ils se retrouvaient ont été frappés d’interdit par les adultes. Les adolescents d’aujourd’hui sont la génération la plus surveillée. Ils disposent de moins en moins d’espace et de temps en dehors du regard des adultes. Ne pouvant pas se retrouver sur le terrain de basquet ou devant un immeuble, ils se retrouvent sur MSN et Facebook.

Ce que les adolescents font en ligne est banal : ils jouent, discutent, commentent, papotent, colportent des ragots, chahutent, s’aiment, s’ennuient, se battent, découvrent des amis, s’inventent des histoires, forment des bandes. Ils font ce que leurs parents ont fait au cours de ces interminables après midi au centre commercial ou chez un ami

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